Georgio Armani et Rima Kazoumian
Photos : album personnel de Rima Kazumyan
Rima Kazoumian n’a que 25 ans et elle occupe déjà le poste d’assistante du designer en chef pour la ligne masculine à la société Emporio Armani. Bien qu’elle soit encore très jeune, elle se sent bien à l’aise dans le monde de la haute couture. Et ce ne sont que les hommes, portant les articles conçus par elle qui se sentent mieux à l’aise.
Pourriez-Vous nous dire, Rima, par quoi commence la conception de vos collections ?
– D’habitude c’est Armani lui-même qui nous suggère des idées, en nous proposant quelques points de départ, ce qui nous permet de choisir le sujet, la palette des couleurs, les tissus et de créer les esquisses et les collages. La conception de la collection est un processus continu. Il arrive parfois d’apporter quelques modifications pendant l’essayage et parfois même sur le podium. Il en résulte une nouvelle collection qui devient un trend à la mode qui sans fausse modestie crée la mode mondiale. Et à ce moment on peut dire. « Oui, on a bien travaillé ». Mais le jour suivant tout recommence, car c’est un travail qui ne se termine jamais. Même en dehors du travail je dessine, je fais des esquisses, je pense aux nouvelles idées et je ne m’offre jamais un moment de détente. Par ailleurs, à part la conception de vêtements, je m’occupe également du design graphique. La direction de la société a beaucoup apprécié la technique que j’ai apprise à l’institut Marangoni de Milan et maintenant je suis chargée de toute la partie graphique du travail.
Comment Vous considérez le fait d’être parmi ceux qui décident la mode à l’échelle mondiale?
– Giorgio Armani est adoré en Italie, car il crée des vêtements universels. Les représentants de toutes les couches de la société, indépendamment de l’âge et des goûts, portent ses vêtements aussi bien dans la vie quotidienne qu’à l’occasion des événements solennels. C’est le résultat du travail de toute une équipe qui a bien mérité sa place dans la mode mondiale. C’est une grande responsabilité d’en faire partie et j’en suis toujours consciente. Premièrement, parce que je travaille en contact directe avec Monsieur Armani, et deuxièmement, parce qu’on ne peut jamais oublier nos clients. Il est important de prévoir ce qui ira le mieux à notre client la saison suivante. Les concurrents sont vigilants.
Qu’est-ce que vous ressentez quand vous voyez une personne habillée non seulement dans votre goût, mais aussi en vêtements créés par vous-même ?
– La première fois, j’ai eu une sensation que je ne pourrais transmettre verbalement. Mais maintenant, je vois souvent des jeunes gens portant les maillots Emporio Armani que j’ai créés moi-même. En voyant cela, j’ai toujours envie de sourire.
En créant de nouveaux modèles de vêtements à quoi vous faites surtout attention ?
– Depuis longtemps, il existe un style Armani, facilement reconnaissable et aimé de tous. Et nous essayons toujours de ne pas abandonner ce style. D’une part, c’est très difficile. D’autre part, au tout début la compagnie a apprécié mes esquisses justement parce qu’elles étaient dans le style Armani. Et probablement, ce n’était pas un hasard : je rêvais d’y travailler depuis l’âge de13 ans. Et un matin j’ai reçu un coup de téléphone m’invitant à un entretien, une semaine plus tard j’étais embauchée.
Etre à la mode, cela signifie avoir un beau look plutôt que d’être différent des autres ?
– Etre à la mode, cela signifie avoir son propre style et être capable de sentir l’esprit du temps. Les vêtements doivent aider la personne à produire l’effet nécessaire, ils doivent lui aller et être compatibles avec sa personnalité et le milieu dans lequel cette personne vit. Les vêtements bien choisis peuvent aider à réussir ou, au contraire, produire un effet indésirable. Je sais par mon expérience que ce n’est que celui qui a son propre style, un sens de la mesure et la capacité de comprendre ce qui est vraiment créé pour lui dans cet embarras de choix, qui peut toujours se distinguer des autres et faire une bonne impression. On ne peut dire qu’on est vraiment à la mode que lorsqu’on ne pastiche pas aveuglement les magazines de mode ou ses amis. C’est que les vêtements qui sont bons pour certaines personnes, ne le sont pas nécessairement pour les autres.
Dans les années 1960, à l’époque des rébellions, les vêtements étaient l’un des instruments les plus importants de la révolte. Est-ce que de nos jours l’apparence de la personne importe autant pour l’expression de son « moi »?
– Exactement. Mais d’abord, il faut l’avoir, son propre « moi ». Parfois on rencontre une personne très intéressante, et c’est après l’avoir quittée qu’on pense que c’était vraiment quelqu’un de branché, de vif, d’élégant, cependant on n’arrive pas à se souvenir de quoi il était habillé. C’est l’individu qui est au premier plan. Les conseils de designers doivent aider à intensifier l’impression qu’un individu peut faire et non pas « tuer » cet individu avec des vêtements à la mode.
Selon une légende, les vêtements ont été créés par pudeur des premiers êtres humains. Pourtant aujourd’hui les vêtements deviennent de plus en plus un instrument de scandale, ce qui est perçu comme une expression de l’impudence…
– Ce sont les gens publics qui ont besoin de scandale. On y recourt pour divertir le public, soit pour la publicité. Les masses exigent des spectacles et en obtiennent. Ce n’est pas une tendance dictée par la mode, mais un moyen d’attirer l’attention, de se distinguer dans la foule de chanteurs, d’acteurs, de newsmakers. Parfois, malheureusement, les gens ordinaires « sont contaminés par le même virus ».
Combien les perceptions de la mode se diffèrent en Europe et en Arménie ?
– D’habitude, la femme italienne est bien soignée, coiffée, elle n’est pas trop maquillée et elle porte des accessoires de qualité. Elle se distingue toujours dans la foule : ses habits ne sont pas criards, mais recherchés, toujours compatibles avec la situation. Elle ne porte pas de talons-aiguilles, si elle est amenée à marcher longtemps. Elle fait une différence nette entre ce qu’elle porte au quotidien et ce qu’elle porte le soir. La femme italienne est toujours marquée par la dignité et le sens de la mesure. Malheureusement, souvent c’est ce sens de la mesure qui manque à la femme arménienne. Les arméniennes passionnées de la mode abusent de maquillage, de bijoux, d’amalgame de couleurs. Elles imitent tout simplement les magazines de mode, elles courent après le prestige et le luxe, mais c’est la quantité qu’il leur importe souvent et non pas la qualité. Cependant, pour être à la mode, il n’est pas forcément nécessaire de renouveler sa garde-robe chaque année. Il suffit d’y apporter quelque chose de nouveau, on peut, par exemple, modifier la largeur du pantalon, soit la longueur de la jupe, la silhouette de la robe, etc.
Et quant aux hommes ? Qu’est-ce que vous pouvez dire, puisque vous vous occupez essentiellement des vêtements pour homme…
– En Europe les hommes suivent la mode autant que les femmes. Cependant, l’acquisition des vêtements de marque n’a pas une fin en soi pour eux. Tout simplement les vêtements les aident à créer l’image recherchée, avec laquelle ils se trouvent en parfaite harmonie. Tandis qu’en Arménie les hommes habillés à la mode sont rares.
A votre avis, quel est l’état des choses aujourd’hui en Arménie en matière du design ?
– A mon avis, mes collègues doivent avoir beaucoup de difficultés en Arménie, car là-bas c’est le client qui décide, alors qu’en réalité cette tendance doit être inversée. Sinon, on est condamné à patauger sans pouvoir progresser. Ce n’est pas nous qui devons dire au médecin comment nous traiter ou nous opérer. Le client doit comprendre que s’il veut être à la mode, il lui faut avoir confiance en professionnels. D’autant plus qu’on n’a jamais eu de manque de bons designers chez nous.
Artavazd Yeghiazaryan | pour Yerevan Magazine